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Pourquoi le droit d’auteur n’aime pas l’internet ?

Note juridique n°4

mercredi 4 juin 2008.

 

Résumé

Le droit d’auteur moderne a 200 ans et a survécu à toutes les révolutions technologiques. Jusqu’à l’internet. D’un côté, l’internet est un fantastique outil pour créer et diffuser des œuvres, donc pour répandre le droit d’auteur, de l’autre il bouleverse complètement la logique de ce droit. Alors qu’avant il était principalement destiné aux professionnels, auteurs d’un côté, distributeurs de l’autre, l’internet fait désormais de chaque personne à la fois un membre du public qui consomme des œuvres, un auteur et un distributeur en puissance. D’où le fait qu’on a souvent l’impression que le droit d’auteur n’aime pas l’internet.

Auteur(s) : Laurent Ferrali et Charles Simon

1- C’est quoi le droit d’auteur ?

Le droit d’auteur c’est la branche du droit qui permet aux personnes qui écrivent, réalisent des films..., bref, aux auteurs, de protéger deux choses :
- le fait que leur nom soit associé avec les oeuvres qu’ils ont créées et que n’importe qui ne puisse pas modifier ces oeuvres n’importe comment. C’est ce qu’on appelle le droit « moral » ;
- la possibilité de choisir les personnes qui distribuent leurs œuvres, les modalités de cette distribution et d’être payé pour ça. C’est ce qu’on appelle les droits « patrimoniaux ».

2- Quand est-ce qu’une œuvre est protégée par le droit d’auteur ?

Le droit d’auteur est lié au fait même de créer. Il n’y a pas besoin de déclarer ou de déposer une œuvre auprès de qui que ce soit pour qu’elle soit protégée.

Mais le dépôt permet de prouver plus facilement ce qu’on a créé et quand on l’a créé. C’est pourquoi dans certains secteurs, par exemple pour les logiciels, il est habituel de procéder à un dépôt auprès d’un organisme spécialisé. Mais cela ne change rien à l’existence du droit d’auteur : c’est une simple sécurité. Dans d’autres secteurs, comme la musique, le dépôt est aussi quasi obligatoire mais encore une fois non pas pour créer le droit mais pour recevoir l’argent que la Sacem et les autres sociétés d’auteurs collectent au nom des auteurs, par exemple auprès des radios et des télés.

3- Comment le droit d’auteur a-t-il été créé ?

En France on fait souvent remonter la naissance du droit d’auteur moderne à la Révolution de 1789 et à Beaumarchais, l’auteur de théâtre. A l’époque, la Comédie Française considérait qu’elle n’avait pas à payer les auteurs des pièces qu’elle jouait. C’est pour protester contre ce système qu’un auteur à succès, Beaumarchais, s’associe à d’autres en 1777 et obtient une première loi sur le droit d’auteur. De nombreuses autres lois la suivront, notamment la grande loi de 1791 et celle de 1957 qui forment la base de notre droit d’auteur actuel.

En plus de 200 ans, le droit d’auteur a permis aux auteurs d’être rémunérés pour l’exploitation de leurs oeuvres, même si peu d’entre eux sont devenus riches ou même vivent de leur création. Les principes sur lesquels le droit d’auteur est bâti sont donc très solides. Ils ont surmonté toutes les révolutions technologiques : la presse de masse, le disque, la radio, le cinéma et, plus récemment, l’informatique et l’internet, même si le choc n’est pas toujours facile, comme maintenant avec l’internet.

4- Le droit d’auteur s’applique-t-il sur l’internet ?

Oui, le droit d’auteur est même partout sur l’internet. Comme il n’y a pas besoin d’un dépôt préalable ou d’une déclaration pour qu’une œuvre soit protégée par le droit d’auteur, les internautes créent en effet du droit d’auteur comme ils respirent !

Derrière une image sur un site de photo communautaire, il y a du droit d’auteur. Derrière le billet d’un blog, il y a du droit d’auteur. Derrière une vidéo sur un site de partage, il y a du droit d’auteur. Bref, l’internet est un fantastique vecteur pour créer et diffuser des oeuvres et le droit d’auteur s’applique à tout cela, même si on ne s’en rend pas toujours bien compte.

5- Pourquoi l’internet pose-t-il des problèmes au droit d’auteur ?

Jusqu’à présent, le droit d’auteur et les pratiques qui allaient avec concernaient surtout les auteurs et les professionnels qui diffusaient les oeuvres. Le public n’était concerné qu’à la marge, surtout au travers des exceptions aux droits patrimoniaux de l’auteur : la copie privée et la possibilité de montrer une œuvre à ses amis et à ses proches. Ces exceptions concernaient des utilisations d’œuvres assez réduites. Mais l’internet a changé tout cela en plaçant le public, l’internaute, au cœur non seulement de la consommation mais aussi de la création et de la diffusion des œuvres.

Avec la numérisation, les œuvres sont désormais copiables à l’infini, sans frais, et chacun peut les diffuser à travers tout le réseau. Chacun devient ainsi acteur non seulement de la consommation mais aussi de la diffusion des œuvres des autres et des siennes propres puisque, derrière tout blogueur par exemple, il y a un auteur qui souvent s’ignore !

Avec l’internet, on a donc une frontière qui devient floue non seulement entre le public et l’auteur mais entre l’utilisateur et le diffuseur. L’internaute est un peu tout à la fois.

6- Mais en pratique, comment est-ce que ça se voit ?

Aujourd’hui, les deux branches du droit d’auteur cherchent toujours leurs marques dans l’internet. Le droit moral par exemple cadre mal avec un certains nombre de pratiques qui se sont développées autour de l’internet :

6.1. N’importe quel internaute peut participer à la création d’une œuvre « massivement collaborative ». C’est par exemple l’encyclopédie Wikipédia. N’importe qui peut créer ou modifier une entrée de l’encyclopédie. Ce qui est écrit est protégé et chaque contributeur devrait donc pouvoir demander à ce que son nom apparaisse quand l’entrée est citée ou copiée, comme le prévoit les règles habituelles du droit d’auteur. Mais si savoir qui a écrit quoi est relativement simple dans l’univers du papier puisque les gens qui collaborent ne sont jamais de parfaits inconnus, c’est nettement plus compliqué quand tout est fait en ligne, sans jamais se rencontrer et sans parfois jamais même se parler !

6.2. Il est courant sur l’internet de réutiliser une oeuvre déjà existante pour en créer une nouvelle. On peut par exemple vouloir utiliser une chanson pour faire un mix qu’on diffuse ensuite sur un site de partage de musique. C’est très simple à réaliser mais, selon les règles en vigueur, si le mix déplait au compositeur de la ou les chansons originales, il pourrait se plaindre d’une atteinte à sa création et agiter son droit moral pour obtenir réparation !

Mais c’est surtout les droits patrimoniaux qui ont le plus de mal à s’adapter à l’internet :

6.3. Le droit d’auteur traditionnel est bâti sur le contrôle de la diffusion de l’œuvre alors que l’internet à une logique exactement inverse. C’est ce que les licences « libres » à la Art libre, Creative Commons, Aimsa... ont bien compris. Ces licences autorisent toutes la diffusion la plus large possible des œuvres qu’elles couvrent. Ce qu’elles viennent encadrer, c’est principalement le droit de modifier les oeuvres et de les réutiliser commercialement, des choses qui échappent totalement à la logique du droit d’auteur traditionnel.

6.4. N’importe qui peut devenir un diffuseur à grande échelle d’oeuvres avec une simple connexion haut-débit. N’importe qui est donc potentiellement un distributeur à grande échelle d’œuvre mais il n’y a pas de cadre légal pour organiser cela. C’est ce que voulaient faire les propositions à la « licence globale ». Contre un supplément à leur prix d’abonnement à internet, les internautes auraient pu diffuser et échanger « officiellement » des œuvres. Mais il existe aussi d’autres modèles, comme par exemple « taxer » les fournisseurs d’accès qui seraient les personnes à qui profiteraient le plus cette nouvelle forme de diffusion des œuvres par leurs abonnés.

6.5. N’importe qui peut être son propre distributeur, court-circuitant les intermédiaires. A priori cela devrait être une chance mais, à y regarder de près, cela pose des problèmes juridiques sans fin. Si vous êtes un compositeur membre de la Sacem par exemple, seule la Sacem peut autoriser quelqu’un à distribuer vos œuvres, même vous ! À l’origine, laisser la Sacem s’occuper de tout devait permettre aux auteurs d’être plus forts ensemble face aux professionnels de la distribution : les éditeurs, les directeurs de théâtre, de cabarets, puis les radios, les télés, etc. Mais aujourd’hui le système en place a l’effet paradoxal d’interdire à l’auteur de s’auto-distribuer sur l’internet. S’il le fait quand même, la Sacem le traitera comme un pirate ! Elle a bien mis en place une rustine pour contourner la difficulté mais c’est à se demander si le remède n’est pas pire que le mal (l’auteur doit signer un contrat avec la Sacem qui n’autorise que l’écoute des morceaux et interdit que le site soit financé par la pub ou propose un espace pour acheter les morceaux) !

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